La vague de désolation frappe la vallée de Fréjus, le barrage de Malpasset s'est rompu, origine d'une des plus grandes catastrophes que la France ait connue (2 décembre 1959 - 21h13).
François, le héros de Maryline Desbiolles est au coeur de cette rupture, lui le jeune ouvrier de la ville sombre d'Ugine dans la vallée de la Maurienne qui est descendu dans le Sud lumineux, près de la mer, pour participer à la construction de cet orgueilleux barrage au bout de la vallée rose car couverte de pêchers.
Mais ce court roman aurait pu s'appeler Rupture avec un "S", car il conte tout autant que la rupture du barrage, celle de la rupture de François et de son premier amour Louise. La rupture de sa famille avec la disparition inexplicable de son père et du mal -être qui l'habite depuis, est-il François ou Augustin, ce prénom que son père lui sussurait dans l'oreille. La rupture de François avec son époque, celle de la guerre d'Algérie où bien qu'appelé à y combattre il reste sur la crète du barrage qui sépare les "fellaghas" des "Max" "les soldats s'appellent Max entre eux." et lui aussi si proche de se rompre.
Revenu à Fréjus pour y construire le pont de l'autoroute, il parcourera la vallée après la vague géante se répétant inlassablement une phrase en latin, "stringebam bracchia sed jam amiseram quam tenebam" c'est à dire "Je serrais les bras mais j'avais déjà perdu ce que je tenais". Il prètera son concours pour nettoyer les cadavres de leur gangue de boue à l'eau claire, symbole d'un renouveau.
Sobriété du récit, compassion et pudeur dans la relation de la tragédie, concision sans parti pris dans les pages consacrées à l'Algérie mais aussi richesse des mots évocateurs de la lumière du Sud et de la splendeur des pêchers en fleur ce qui donne un ouvrage fort et pétri d'émotion. L'auteure ne s'attarde pas sur les causes de la catastrophe, son propos est davantage cette accumulation de ruptures personnelles et sociétales, de la gangue de boue peut surgir alors homme et société nouvelles.
Maryline Desbiolles - Rupture - Flamarion - 122 pages - janvier 2018 - 15€