Roman uppercut, on sort sonné de sa lecture après avoir vécu intensément avec Ramla, Hindou et Safira, trois femmes peules du Nord-Cameroun.
"Patience mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos coutumes, du pulaaku" (le code d'honneur des Peuls) c'est par ce conseil de leur père à Ramla et Hindou que débute le roman et de la patience, munyal, il leur en faudra beaucoup...
Mariages forcés, violences physiques et psychiques, polygamie traduisent la puissance absolue de l'homme, père, mari ou oncles au sein de la concession. Les femmes et filles sont elles enserrées dans des règles sociales et religieuses à la fois pour contribuer à la richesse du clan mais pour assurer surtout leur soumission, notamment en tant que co-épouses et éviter tout manquement, source de déshonneur.
Pas de rébellion possible pour Ramla, 15 ans, même si scolarisée elle rêve de devenir pharmacienne, son père a décidé, elle épousera Alhadji Issa, un homme riche et deviendra sa deuxième femme.
Pas de rébellion possible non plus pour Hindou sa demi-soeur, malgré la mauvaise réputation de son cousin Moubarak, elle doit épouser. Ce dernier dès la nuit de noces va se révéler brutal,
violeur puis volage et lorsqu'elle ose se plaindre on lui rétorque que c'est de sa faute si elle ne sait pas bien s'occuper de son mari et qu'il n'y a pas de viol entre époux. Quand
Hindou n'aura plus la patience de supporter elle s'enfuira mais cela la conduira à une forme de folie.
la dernière partie est consacrée à Safira la première épouse d'Alhaji Issa, la "daada-saaré", celle qui reste la responsable de la maison quand la jeune co-épouse Ramla arrive et
qui doit l'accueillir comme sa soeur. On est alors plongé dans la vie d'une famille polygame avec ses règles. Si le pulaaka et le Coran indiquent que les co-épouses doivent s'entendre pour
la paix du ménage, en fait Safira, qui se trouve bafouée, va tout mettre en oeuvre, sous des dehors de bienveillance, pour se débarraser de Ramla et la faire répudier. Cette partie du
roman est intéressante parce qu'elle montre qu'en contrepoint de la violence de l'homme il existe une violence entre femmes résultant de rivalités impitoyables pour garder la
première place dans le coeur du mari et protéger ses enfants, ce qui contribue à conforter ce système qui les asservit. Par ailleurs sous le vernis de l'Islam on voit bien que ces
populations continuent à pratiquer le recours aux marabouts, aux griots pour des pratiques s'apparentant à la sorcellerie.
Il faut lire ce roman de révolte contre la polygamie et de combat pour la condition féminine dans ces régions du Sahel bien sûr, mais qui a aussi une portée plus universelle, pas besoin d'aller aussi loin pour constater les violences faites aux femmes. Il suscite aussi une certaine impatience de savoir si de tels livres pourront faire évoluer ces situations.
Le grand talent de Djaïli Amadou Amal en tant qu'écrivain c'est de réussir à nous plonger dans cet univers comme des spectateurs cotoyant familièrement ces trois femmes, c'est
prenant.
Un livre à lire absolument et sa distinction par le Goncourt des lycéens 2020 est amplement méritée.
Amadou Amal Djaïli - Les impatientes - Editions Emmanuelle Collas - 244 p. - septembre 2020 - 17 €
Complément : Biographie de Djaïli Amadou Amal
Djaïli Amadaou Amal est née en 1975 à Maroua, elle est camerounaise, peule et musulmane. Elle a été mariée de force à 17 ans à un cinquantenaire polygame qui a fini par la répudier. Elle a été remariée et a fini par fuir suite à des violences conjugales qui menaçait sa vie et celle de ses enfants. Elle décide de devenir écrivain. Son premier roman Walaande, l'art de partager un mari, paru en 2010, lui confère une renommée immédiate. C'est déjà le témoignage autobiographique d'une femme qui a vécu cette situation de l'intérieur, il raconte l’histoire de quatre femmes vivant dans la même concession. Elle a fondé en 2012 l'association Femmes du Sahel qui aide les jeunes femmes à obtenir l'indépendance par les études. Son troisième roman, Munyal, les larmes de la patience, paraît en septembre 2017, c'est celui-ci qui retravaillé va devenir Les Impatientes. (Source : Wikipédia)